Vie et mort de l’image

Note de lecture

Vie et mort de l’image
Régis Debray ; folio essais

p 101
Or, tuer l’image n’était rien d’autre pour Vasari qu’une nouvelle manière — plus radicale, plus idéale peut-être — dau faond qu’un deuil de ressemblance, un vestige de cette perte de l’image divine déclenchée dans la faute d’Adam. Et si la ressemblance, d’un point de vue chrétien, ne se pense que comme un immensse drame, c’est avant tout parce qu’à travers sa faute et la perte de son “être-à-l’image”, Adam n’avait rien fait d’autre que de nous inventer la mort. Ne pas ressembler (à Dieu), c’est une ivine) se superpose exactement à celuid e retrouver l’immortalité native où Dieu est censé nous avoir toius créés. telle serait peut-être la dialectique fondamentale des images incarnationnelles que de porter en elles ce double mouvement contradictoire (contradictoire de la contradiction même où le Verbe divin aura déjà accepoté de plonger) : porter la mort en elles, procéder à quelque chose comme une perpétuelle “mise à mort” — un sacrifice donc —, afin de gérer religieusement le désir commun d’une mort de la mort… A l’étranger qui découvrirait tout d’un coup le monde occidental des images chrétiennes, clles en particulier qui couvraient les murs d’églises ou de couvents, le premier étonnement irait sans doute vers ce point même : quel réconfort quant à la mort les chrétiens ont-ils bien pu retirer d’un dieu en perpétuelle image de mourir sur une croix ?

p 35-36
• Les images disposées à l’abri devaient aider les trépassés à poursuivre leurs activités normales.
• C’est un constat banal que l’art naît funéraire, et renaît sitôt mort, sous l’aiguillon de la mort.
• L’eido archaïque désigne l’âme du mort qui s’envole du cadavre sous la forme d’une ombre insaisissable, son double, dont la nature ténue mais encore corporelle facilite la figuration plastique. L’image est l’ombre et ombre est le nom commun de double. Du grec eidolon : image, idoles au sens large.
• 3 acceptions concomitantes :
- image du rêve (onar)
- apparition suscitée par un dieu (phasma)
- fantôme d’un défunt (psyché)
[fantôme et fantasme, c’est le même mot en portugais]
• Signe vient de sema : pierre tombale
• L’image primitive est comme substitut vivant du mort
• La représentation, c’est la copie la plus exacte possible du mort (voir rois) p31
• C’est en image que l’empereur montait du bûcher au ciel, en image parce qu’en personne.
• Métonymie réelle ; longtemps donc, figurer et transfigurer n’ont fait qu’un.


p 41 • L’image constituant non l’enjeu mais le levier d’un troc dans le perpétuel marchandage du voyant avec l’invu...
fresque du campo santo de Pise XIVe

p 43 • “Magie” et “image” ont les mêmes lettres, et c’est justice. S.O.S. image, S.O.S. magie.
• Seule la période originaire des idoles relève de la magie au sens propre, l’art venant à l’image quand la magie s’en retire.
p 46 quelle image ...
p 47 Une humanité ...
p 49 Représenter ... (Début de l’image par le contour)
p 53 C’est donc à raison de son archaïsme qu’une image peut rester moderne ...
p 57 Conclusion

p 65 Bergotte (Proust) et la vue de Delf de Vermeer
• Le commentaire et l’émotion ne mobilisent pas les mêmes neurones. Symbole et indice se regardent en chien de faïence. tant il est vrai que l’émotion commence là où s’arrête le discours.

p 74 Cette illusion ... (A rapprocher de Walter Benjamin)
p 76 Les couleurs, il est vrai, ... (Kandinsky)
• Signifier, c’est exprimer l’identité d’un groupe humain, en sorte qu’il y a une relation entre le caractère circulaire ou exclusif d’un système de signes et sa valeur expressive. Communiquer par signes, c’est exclure tacitement de la communication vivante le groupe voisin pour lequel ces signes sont lettre mortes ou jeu d’images gratuit.
On n’était pas tout seul devant une icône byzantine, ni passif, mais inséré dans un espace ecclésial et une pratique collective : la fonction liturgique était d’essence communautaire. On est seul devant un tableau contemporain, ou plutôt n’a-t-on plus besoin de passer par une histoire collective, un stock mythologique partagé, pour s’en approprier la substance. Le propre de l’art moderne n’est-il pas de ne “parler” qu’à des individus ?

P 78 Précisons. Une image est un signe qui présente cette particularité qu’elle peut et doit être interprétée mais ne peut être lue...

p 81-82 A quelles conditions une transmission muette est-elle possible ? Pourquoi peut-il y avoir du symbolique parmi les hommes ? ...

• Symbolique et fraternel sont synonymes. (symbole : jeter des ponts)
• Dia-bolique est ce qui divise, sym-bolique est ce qui rapproche.

p 83 Devant toute image - photo, tableau, estampe, plan - se demander : vers quoi l’auteur a-t-il levé la tête ? L’a-t-il pris de haut, ou d’un peu plus bas ? A-t-il fait un effort pour sortir, aller vers, au-devant ? De quoi cet homme, cette femme ont-ils religion, ferveur ou respect ? La réponse “de rien” ou “de lui-même” , île est assez probable que les deux, à terme s’équivalent, n’augure rien de bon pour l’avenir de cette image.N’existera parce que ce qui n’était pas seulement pour soi. p 84

p 85-87 Cet “aura”, dont Walter Benjamin déplorait la fuite pour cause de “reproductibilité technique”, ne s’est pas envolée comme il le craignait, mais personnalisée. Nous n’idolâtrons plus les œuvres mais les artistes. Le monde symbolique aussi a horreur du vide : quand son œuvre se referme sur elle-même comme une huître, c’est l’artiste qui devient un hiéroglyphe ambulant, dépositaire des lourds secrets de sa vie, jamais clairement dévoilés. Beuys, Yves Klein, Warhol - sans même parler des imagiers réellement opérationnels de notre temps, Welles, Fellini et les autres : porte-clefs arpentant à perte de vue des couloirs de portes closes. Désacralisation de l’image, sacralisation du fabricant d’images ont avancé au même pas, tout au long du XXe siècle. Le sacré monstrueux, en ce sens, c’est le monstre sacré. (...)

• “Vous n’êtes pas le premier dans la décrépitude de votre art” lançait Baudelaire à Manet. Dans la peinture moderne, l’autoréférence s’exalte avec l’auteur de l’Olympia, même si, malgré la jolie boutade de Malraux, il a aussi fait le portrait de Clemenceau, et non le sien propre. (“Pour que Manet puisse peindre le portrait de Clemenceau, il faut qu’il ait résolu d’oser y être tout, et Clemenceau, rien”. Le musé imaginaire Malraux)
Elle s’est probablement achevée sur le feu d’artifice ironique par lequel le cannibale du visible, notre plus grand prédateur de formes, a fait passer la peinture occidentale de l’autonomie à l’autophagie. Avec lui, les deuxième et troisièmes degrés semblent avoir porté un coup fatal au premier. A l’instar de “l’homme qui consomme de mieux en mieux, mais de manière irrémédiable sa propre substance, c’est à dire ce qui lui vient du milieu naturel” (Leroi-Gourhan), Picasso ne s’est-il pas évertué, par jeu, à consommer le stock figuratif de l’Occident et des environs, puisé à même son milieu culturel ? Étincelant retour sur soi de qui se mord la queue, et réenroule sur lui-même le serpent de l’art tel que le Quattrocento florentin avait déroulé ses premiers anneaux, à la façon du Catoblépas de la fable, cet animal antique qui se dévorait lui-même.

p 93-95 premier collage 1907 ...

• L’Occident a le génie des images parce qu’il y a 20 siècles est apparue en Palestine une secte hérétique juive qui avait le génie des intermédiaires. Entre Dieu et les pécheurs, elle intercala un moyen terme : dogme de l’Incarnation. C’est donc qu’une chair pouvait être, ö scandale, le “tabernacle du Saint-Esprit”. D’un corps divin, lui même matière, il pouvait par conséquent y avoir image matérielle. Hollywood vient de là, par l’icône et le baroque.
Tous les monothéismes sont iconophobes par nature, et iconoclastes par moments. L’image est pour eux un accessoire décoratif, allusif au mieux, et toujours extérieur à l’essentiel.
[...] Mais le christianisme a tracé la seule aire monothéiste où le projet de mettre les images au service de la vie intérieure n’était pas [...] sacrilège.
[...] Il s’en est fallu de peu que l’iconoclasme byzantin (et dans une moindre mesure, calviniste, huit siècles plus tard), ne ramène la brebis égarée dans le troupeau.
[...] YHWH se dit un jour : “faisons l’homme à notre image”.
mais cela fait il dit : “Tu ne feras pas d’idoles” (Exode 20, 4).
Et à Moïse, il ajoute : “tu ne saurais contempler ma face, car il n’est mortel qui me puisse contempler et demeurer en vie”. (Exode, 33, 30)
Le vrai dieu de l’écriture s’écrit en consonnes, l’imprononçable tétragramme ne se regarde pas.
[...] Comble du ridicule : la statue sacrée. Qu’est-ce qu’un Dieu qui se casse en morceaux, qu’on peut jeter à terre ? Quel être infini peut se laisser circonscrire dans un volume ? Le Temple est vide, comme l’Arche.
[...] Seule la parole peut dire la vérité, la vision est puissance de faux.
[...] L’œil est l’organe biblique de la tromperie et de la fausse certitude, par la faute duquel on adore la créature au lieu du Créateur, on méconnaît l’altérité radicale de Dieu, ramené au statut commun du corruptible, oiseau, homme, quadrupède ou reptile.
[...] La Bible accouple clairement la vue au péché. “la femme vit que l’arbre était bon à manger, agréable à la vue, ...” (Genèse 3). Eve en a cru ses yeux, le serpent l’a fascinée, et elle a succombé à la tentation.
[...] L’optique est pécheresse : séduction et convoitise ...
[...] Le tandem apparence/concupiscence aura la vie dure, même en plein christianisme.
[...] La persécution puritaine des images, derrière le refus de les adorer, ne va jamais sans une répression sexuelle plus ou moins avouée, ni la relégation sociale des femmes. Le mot détache, l’image attache. A un foyer, un lieu, une habitude.
[...] Les monothéismes du Livre sont des religions de pères et de frères, qui voilent filles et sœurs pour mieux résister à la capture par l’impure image.
[...] L’iconoclaste est en règle générale un ascète investi d’une mission purificatrice, soit tout le contraire d’un homme de paix.

[...] La légitimité des images dans le christianisme a été tranchée sur le fond, en plein milieu de la sanglante querelle des images, au deuxième concile de Nicée, en 787. cette décision ne marqua pas la fin de la guerre civile, qui dura jusqu’en 843, “triomphe de l’Orthodoxie”. deux parties s’affrontaient depuis plus d’un siècle dans le monde Byzantin : les ennemis des images, iconomaques ou iconoclastes, plus nombreux dans le clergé séculier, la Cour et l’armée et leurs partisans, iconophiles et iconodules, plus nombreux dans le clergé régulier, moines et évêques.
Le décret adopté par les Pères conciliaires stipule que non seulement n’est pas idolâtre celui qui vénère les icônes du Christ, de la vierge, des anges et des saints parce que “l’hommage rendu à l’icône va au prototype”, mais que refuser cet hommage “reviendrait à nier l’Incarnation du Verbe de Dieu”.
Ce septième et dernier concile œcuménique fut le dernier auquel aient participé ensemble Occident et Orient Chrétiens.
Il a inversé la primauté absolue de la Parole sur l’Image propre au Judaïsme, en attestant l’influence de la culture visuelle des Grecs sur les chrétiens.
La première décision conciliaire légitimant la figuration de la grâce et de la Vérité à travers l’image du Christ, en 692, avait fondé le dogme des images sur celui de l’Incarnation.

[...] La vague iconoclaste lancée par Léon III à Byzance au début du VIIIe siècle a été la dernière grande hérésie touchant au dogme de l’incarnation. Elle ne le niait pas, bien sûr, mais en donnait une interprétation limitative (n’admettant, par exemple, pour traductions autorisées du Mystère que le symbole de la croix, l’eucharistie et le gouvernement). Corps et image, répond l’orthodoxie font pléonasme. Tout vient ou se refus ensemble.

[...] (L’icône est donc acceptée comme métaphore de Dieu). mais comme le Christ, l’image fabriquée est un paradoxe. Une réalité physique encombrante, qui se nettoie, se transporte, se stocke, se protège.
[...] Mais son être ne se réduit pas à une somme d’éléments matériels : un tableau, c’est plus qu’une toile colorée. Comme une hostie est plus qu’un bout de pain.
[...] Ceci n’est pas une planche de bois encaustiquée et pigmentée, ceci est une Crucifixion.
[...] Métaphore effective qui fait critère.
[...] La ligne de partage se retrouve au sein de la Réforme. Luther admet le sacrement de la Cène ; il condamne aussi les iconoclastes comme Carlstadt, son émule, qui, refusant absolument le sacrifice de la messe, refuse absolument l’accès au temple à la moindre image. Calvin, qui fait de la Cène un pur symbole, une simple métaphore, tient la transsubstantiation catholique pour un honteux tour de passe-passe, et sa condamnation des images est beaucoup plus rigoureuse que celle de Luther.
[...] Toute image charnelle du Christ est à ses yeux une idole et l’art, dit-il, ne peut rien enseigner quand à l’invisible. Il ne peut et doit montrer que les “choses que l’on voir à l’œil”.
[...] Rompre totalement avec les images est un luxe qu’aucun homme d’autorité ne peut s’offrir. Luther est trop fin politique, et trop respectueux de l’ordre établi, pour verser dans l’iconoclasme de son ultra gauche. Il biaise, insiste sur la pédagogie de l’image comme complément nécessaire de la parole de Dieu, distingue subtilement en Christ et Crucifix. Il prend soin de rester l’ami de Cranach (qui illustre sa traduction du Nouveau testament) et de Dürer. Ils sait trop, face à la papauté, que le pouvoir se conquiert par la gauche mais s’exerce au centre, par la médiation des gravures pieuses. Las d’admonester dans son propre camp les illuminés, les puristes, les fanatiques briseurs d’images, il enjoint les autorités de les faire exterminer sans phrases. Quoique plus rigoureux sur le fond, Calvin maintient une prudente ambiguïté : en dehors des images des saints et des lieux de culte, l’usage privé et profane est permis. Un fondateur d’Etat ne pouvait agir autrement.

[...] En attendant, pour les grecs, plus c’est beau, plus c’est louche. L’image étant un déficit d’être, et donc de vérité, plus elle est séduisante, plus elle est malfaisante.
[...] Il est vrai que cette religion grecque était inimaginable sans images, mais ces images sont encore plus inimaginable sans elle (beau chiasme). Peut-on vanter leur caractère anthropomorphe, l’humanité révolutionnaire de cette plastique sans rappeler qu’elle avait pour fin de rapprocher les hommes du surnaturel ? les Grecs étaient fiers à juste titre de leurs vases, de leurs statues, de leurs décorations murales, par quoi ils se distinguaient des Barbares, desservants de cultes dépourvus de figures humaines. les perses ne savaient pas, les pauvres, que les dieux et les humains sont de la même pâte. Eux, oui. Mais le corps grec a une valeur parce qu’il participe au modèle divin, non l’inverse.

[...] Apparu chez les flamands, le paysage s’est épanoui en Hollande. Sa peinture, descriptive plus que narrative, était moins asservie que sa rivale italienne à une culture mythologique, littéraire ou cléricale. Prohibant la peinture religieuse, Calvin ne laissait d’autre pâture aux peintres que le monde profane. L’image pieuse, interdite, restait la nature morte et vivante. A Amsterdam et autour, le marchand émancipé par l’argent, relativement tolérant, se sent habilité à explorer son propre pays avec ses nouveaux appareils de vision, comme cette camera obscura inventée au siècle précédent.
[...] Veermer de Delft se plante devant Delft pour faire, sa petite machine optique aidant, “le plus beau tableau du monde”. Sidérante approximation du beau où s’indique une révolution de l’esprit.
Voir l’ici-bas, autour de soi, accommoder sur le tout-proche, privilège, miracle, folie, n’est pas un réflexe mais une conquête. Du concret sur l’abstrait, ou plutôt de la particularité sur la généralité.

[...] Un orthodoxe prie son icône les yeux fermés parce qu’il porte l’icône du Christ en lui.

p 162-163 Pourquoi ...

p 167 “Cosa mentale” de Vinci ...

p 170- 172 Walter Benjamin ... « L’œuvre d’art à l’ère de sa reproductibilité technique ». Walter Benjamin s’y montrait moins triomphaliste (…). Devenue reproductible par les procédés photosensibles, mécaniques et industriels, l’œuvre d’art, disait-il, va perdre sa valeur cultuelle, sacrifiée à ses valeurs d’exposition. Les techniques de reproduction profanent le sacré artistique parce que les créations de l’esprit ont une quantité de présence unique, liée à l’ »ici et maintenant » d’une apparition originale. « En multipliant les exemplaires, elles substituent un phénomène de masse à un événement qui ne se produit qu’une fois. » L’inapprochable beauté va s’abîmer dans la promiscuité du produit médiatique ; l’aura de l’art, qui est « l’unique apparition d’un lointain » se perdra avec l’unicité ? (la reproduction) de l’œuvre. A trop se rapprocher des hommes, les images perdront toute autorité. (…)
Benjamin a eu l’immense mérite de faire rétroagir les conditions de transmission sur la création artistique, comme le montre sa petite histoire de la photographie de 1931. Mais, prêtant peu d’attention aux origines des « beaux-arts », il semble faire sienne l’illusion continuiste de l’histoire officielle de l’art. Ainsi a-t-il pu confondre deux époques, deux régimes du regard : l’ère des idoles et l’ère de l’art (voir tableau p. 292-293). Son aura, en fait, n’appartient qu’à la première. Les qualités de présence réelle, d’autorité et d’immédiate incarnation dont il redoute la perversion industrielle, c’est cela même dont l’œuvre d’art s’est dépouillée à la renaissance, sans attendre le « reproduction mécanisée ». La photo ajouta seulement un troisième degré à un deuxième. Ce n’est pas l’art qui est apparition et « présentification de l’invisible », c’est l’idole (l’icône). Cette dernière seule relève d’une théologie, dont l’esthétique, dès le départ, porte, est le deuil. La sécularisation des images n’aurait donc pas commencé au XIXè siècle mais au XVe. Beaucoup d’envolées de Malraux et de lamentos de Benjamin proviennent-ils d’une erreur de chronologie ? Une plus fine périodisation du temps des images aurait peut-être évité un beau suicide allemand, un beau délire français. Ne regrettons rien : la beauté du siècle en aurait pâti.

p 178 Chaque nouvelle technique crée un nouveau monde ...

p 189 C’est un fait que jusqu’à Kant, et à quelques exceptions près, les grands artistes ont plu à leur époque. Giotto, Caravage, Vinci, Titien, Fragonard, David ont a peu près fait l’unanimité de leur vivant. Mais à partir du XIXe siècle, voilà que ce monde stable ordonné à des canons de beauté, à des critères de métier reconnus et où la fixation des cotes aurait pu se faire par sondage dans les milieux cultivés, se fendille, puis s’écroule. Delacroix, Manet, Pissarro, Gauguin, Van Gogh, Dubuffet ont déplu.

P 199. Dans les faits et par son travail, c’est Duchamp qui a inauguré la médiologie de l’art, à ses risques et périls, en ouvrant le catalogue « indications ». En gagnant son pari, il a catapulté la médiation dans la cabine de pilotage. Vous me demandez une œuvre d’art ? Voilà, prenez cet urinoir, mettez-le au musée, et regardez-vous bien dedans : c’est un miroir. Vous y découvrez qu’un musée est une accumulation d’index pointés, « attention, ceci est à voir ». Le médiologue st donc cet imbécile qui lorsqu’on montre la lune regarde le doigt.

• Le musée a délesté les images sacrées de leurs fonctions cultuelles.

• Ce n’est pas l’artiste qui fait l’art, c’est la notion d’art qui fait de l’artisan un artiste, et elle n’émerge en majesté qu’avec le quattrocento florentin, dans cette période qui va de la conquête par les peintres de leur autonomie corporative (1378) jusqu’à l’apothéose funéraire de Michel- Ange mise en scène par Vasari (1564).

p209-10 Leur crédit … (définitions de l’art)

p221 Nous ne pouvons donc ni repousser le temps linéaire ni l ’accepter tel quel. Impasse ? La sortie ne serait-elle pas, pour échapper au dilemme de l’histoire flèche ou de l’histoire chaos, évolutionnisme ou relativisme, du côté des géométries de révolution (« rotation complète d’un corps mobile autour de son axe ») ? Métaphore pour métaphore, pourquoi ne pas remplace le ruban de la route, montante ou descendante, par les volées d’une cage d’escalier ? Une figure hélicoïde — double mouvement de rotation autour d’un axe — permet de superposer la parabole biologique, qui fut la première métaphore de l’histoire de l’art — enfance, maturité, vieillesse — à l’idée plus large d’une évolution historique d’ensemble.Enchaînant la fin d’une courba au début d’une autre, la spirale peut réconcilier la répétition triste avec la rénovation gai ; le nihil novi sub sole avec notre « nous vivons une époque formidable ». La descente terminale d’une période de l’art portant en elle la certitude d’une nouvelle renaissance, même parabole, autre contenu. Ainsi n’aurions-nous pas à choisir entre une conception saturnéenne de l’irréversible dégradation et la naïveté euphorique d’un perpétuel printemps.

P 230 Il est vrai qu’une décennie du XXe siècle voit défiler presque autant de spirales qu’un XVIe européen (lequel fit à lui seul autant de chemin que le paléolithique supérieur, où les cycles se comptent en millénaires).Antiquité tardive et basse modernité attestent que le déclin d’un cycle a peu à voir avec cette maladie de langueur, cet ennui, ce ralentissement de la vie suggérée par nos poncifs littéraires (« Je suis l’Empire à la fin de la décadence… »). C’est plutôt une surproduction inflationniste de spectacles, de théories, de gadgets, avec une vitesse d’exécution croissante et une circulation accélérée de signes (monétaires, religieux, pictural, etc.). C’est alors que peut se faire jour un besoin de silence et de recueillement ; ermitages, monastères, désert. Psaumes, prières, sagesse. Dégoût de la nouveauté, nouvel appétit de sens.
• Avant la Renaissance, il n’existe pas de discours propre et général sur l’art. On ne produit pas de l’art, pratiquement, sans produire théoriquement une chronologie et une apologie de la chose : double émergence qui ne pointe qu’au milieu du siècle 15 de notre ère, la première renaissance.
A rapprocher de Marcel Duchamp

P 238 : “technè”, substantif féminine, ne s’emploie pas en valeur absolue, sauf pour désigner l’artifice, l’habileté ou la ruse. Quand il désigne un savoir faire, il est toujours spécifié par un génitif. On dit alors : “l’art de la parole, de construire un savoir, des métaux, … ou par un qualificatif comme dans graphikè technè, l’art de la peinture.
La médecine est une technè, la céramique aussi, la forge aussi. Ceux qui s’y adonnent pourraient être dits (par nous) des hommes de l’art, ce qui ne veut pas dire artiste, mais expert, entre artisan et savant.

P 239 Dédale, inventeur de la sculpture sur bois …
Le fabriquant d’images assimilé, comme le poète, au genre des imitateurs, un mauvais genre, apparaît chez lui Platon) au dernier rang des artisans, comme relevant des techniques d’illusion et non de savoirs faire. Plagiaire au carré, un peintre copie une idée de l’Idée. (…) Une médiocre table de cuisine vaut toujours mieux qu’un joli simulacre.

La chrétienté médiévale fera de cette distinction la base institutionnelle de l’enseignement : d’un côté les arts mécaniques, qui produisent des choses, de l’autre les arts libéraux, qui manient des signes, grammaire, logique, arithmétique et géométrie, le quadrivium universitaire.

En attendant, plus c’est beau, plus c’est louche. L’image étant un déficit d’être, et donc de vérité, plus elle est séduisante, plus elle est malfaisante.

P 243 Il est vrai que cette religion grecque était inimaginable sans images, mais ces images sont encore plus inimaginables sans elle. Peut-on vanter leur caractère anthropomorphe, l’humanité révolutionnaire de cette plastique sans rappeler qu’elle avait pour fin de rapprocher les hommes du surnaturel ? Les Grecs étaient fiers à juste titre de leurs vases, de leurs statues, de leurs décorations murales, par quoi ils se distinguaient des barbares, desservant de cultes dépourvus de figures humaines. Les Perses ne savaient pas, les pauvres, que les dieux et les humains sont de la même pâte. Mais le corps grec a une valeur parce qu’il participe au modèle divin, non l’inverse.

P 245 Si le cycle des images grecques commence au VIIIe siècle, il est vrai que la fin de ce cycle, au Ie siècle de notre ère, rebondit sur l’intérêt romain pour les trésors helléniques. On voit alors la naissance d’un quasi-art, secondé par une quasi histoire de l’art. Rome se met à collectionner les prises de guerre, Pausanias et Philostrate décrivent tableaux et statues, une littérature spécialisée se développe.

P 250 L’absence de la catégorie « art » dans la culture grecque et dans celles qu’elle a informées par la suite ne constitue pas une lacune, mais une ontologie. C’est Lamarque de la plénitude, non d’une insuffisance …

P 259 Il s’ensuit que les bâtisseurs de cathédrales exerçaient une profession reconnue, comme tous les travailleurs manuels, non une vocation personnelle. Le mot « houvrier » en vieux français, sort des statues de ces gens de métier (« tailleurs d’ymages, charpentiers et autres ouvriers »). Au XVIe siècle, il est remplacé par le mot artisan. « artiste », dérivé de ars latin, désignant traditionnellement le « maître es ars » libéraux, ou le lettré, étudiant ou maître de la faculté, s ‘étend au même moment aux chimistes ou alchimistes. Au XVIIe siècle en France, presque deux cents ans après la naissance de l’art à Florence, le mot artisan est encore officiellement utilisé pour les peintres et les sculpteurs. Le dictionnaire de l’Académie, dans son édition de 1694, donne pour artiste « celui qui travaille dans un art. Il se dit particulièrement de ceux qui font des opérations chimiques ».

P 264 L’aventure des mots dit bien le fait, et dans l’ordre. La reproduction a précédé l’original, le in visu a fait le in situ. Les peintres ont suscités les sites, et les paysages de nos campagnes sont sortis des tableaux du même nom. Le regard sur la nature est un fait de culture, culture qui fut visuelle avant d’être littéraire. Pittoresque vient de l’italien pittore, peindre. D’autres diront ce que nos bois doivent à Ruysdaël, nos mers à Claude Lorrain et aux marines de Vernet, nos vallées à Poussin, nos montagnes à Salvator Rosa. Les historiens des mentalités nous ont appris que la montagne et la mer sont des institutions culturelles. Le médiologue prend acte que « nature » et « art » sont des catégories abstraites qui en réalité n’existent pas indépendamment l’une de l’autre. Un certain art a engendré notre nature. Et une certaine nature a engendré notre art. D’où la question d’aujourd’hui : quand cette nature se transforme, que reste-t-il de l’art ? Quand cet art disparaît, que reste-t-il de la nature ?

• Renaissance :
Le Nouveau Monde (découvertes) a peut-être aidé à mieux regarder l’ancien
C’est le tableau qui invente le paysage (avent il n’y avait que des pays)
Fenêtre dans le quotidien vécu
Fenêtre de l’histoire des arts dans l’histoire en général

P 266 En occident, l’émancipation du paysage a eu trois siècles d’avance sur celle du « monument historique », construction intellectuelle propre au XIXe siècle.Si c’est à Venise, la petrie des « vedute », qu’est apparue la « paesetto » (LA TEMPÊTE DE GIORGIONE JUSTIFIERAIT À ELLE SEULE LE NÉOLOGISME ITALIEN), C’EST EN EUROPE DU NORD, DANS LES FLANDRES, QU’A EU LIEU LA DÉCLARATION D’indépendance formelle et thématique. Contemporain de Dürer (ce grand voyageur qui poussait l’audace jusqu’à peindre à l’aquarelle et à la gouache des cols alpins, des étangs, des rivières), Joachim Patinir (1475-1524), né à Anvers, passe officiellement pour l’inventeur de la spécialité « landskap ».
Anne Coquelin « l’invention du paysage » 1989
P 268 La profanation du monde
Pour que la nature soit considérée sur pièces et non comme support d’un vœu ou d’une dévotion … et l’abandon des métaphores.
… autant dire un mythe, comme s’appelle toute croyance partagée.

P 270 Apparu chez les Flamands, le paysage s’est épanoui en Hollande. Sa peinture, descriptive plutôt que narrative, était moins asservie que sa rivale italienne à une culture mythologique, littéraire ou cléricale. Prohibant la peinture religieuse, Calvin ne laissait d’autre pâture aux peintres que le monde profane. L’image pieuse, interdite, restait la nature morte et vivante. A Amsterdam et autour, le marchand émancipé par l’argent, relativement tolérant, se sent habilité à explorer son propre pays avec ses nouveaux appareils de vision, comme cette camera obscura inventée au siècle précédent. Le cossu casanier hollandais, à mi chemin de l’austère et de l’ostentatoire, juste milieu entre le purisme puritain et le grandiloquent maniériste, fait le net au foyer. Liberté de conscience et attention aux circonstances vont ensemble. On se sent assez bien dans sa peau, son pays et sur terre pour ne pas chercher au-delà. Veermer de Delft se plante devant Delft pour faire, sa petite machine optique aidant, « le plus beau tableau du monde ». Sidérante approximation du Beau où s’indique une révolution de l’esprit.

P 271 La vue médiévale … l’art moderne. P 275

P 296 Conceptuellement, la succession des « ères » recoupe en partie la classification établie par le logicien Américain Peirce entre l’indice, l’icône et le symbole dans leur rapport avec l’objet. Rappelons brièvement, en les simplifiant à l’extrême, ces trois manières de faire signe à ses semblables.
L’indice est un fragment de l’objet ou en contiguïté avec lui, partie du tout ou prise pour le tout. Une relique en ce sens est un indice : le fémur du saint dans une chasse est un saint. Ou l’empreinte d’un pas sur le sable, ou la fumée du feu au loin.
(Voir à quelle figure de style ça correspond)
L’icône, au contraire, ressemble à la chose, sans en être. Elle n’est pas arbitraire mais motivée par une identité de proportion ou de forme. On reconnaît le saint à travers son portrait, mais ce portrait s’ajoute au monde de la sainteté, il n’est pas donné avec lui. C’est une œuvre.
Le symbole, lui, n’a plus de rapport analogique avec la chose mais simplement conventionnel : arbitraire par rapport à elle, il se déchiffre à l’aide d’un code. Ainsi du mot bleu par rapport à la couleur bleue.
Ces distinctions contemporaines, fort utiles à notre propos, n’ont que le tord d’interférer avec un registre plus ancien et mieux accrédité. L’icône orthodoxe par exemple est indicielle de par ses propriétés miraculeuses ou thaumaturgiques (les mendiants de Russie suspendaient des icônes à leur cou comme des amulettes). Le primat de la statuaire sur la peinture chez les anciens exprime leur proximité à l’indice, disons à la physique des corps. Le volume, le modelé, les trois dimensions, c’était moulage et ombre brute. A l’extrême, l’effacement de la statuaire dans la sculpture moderne attesterait une volonté de s’affilier à l’ordre pur, plus abstrait, plus symbolique.
L’image-indice fascine. Elle en appelle presque au toucher. Elle a une valeur magique.L’image-icône n’inspire que du plaisir. Elle a une valeur artistique. L’image-symbole requiert une mise à distance. Elle a une valeur sociologique, comme signe de statut ou marqueur d’appartenance. La première sidère ; la seconde se considère ; la troisième elle-seule est considérable car considérée en et pour elle-même.

• La longue « décadence de l’analphabétisme » suscite le retour compensatoire du refoulé primitif, comme on l’a vu dernièrement en peinture avec collage, frottage, grattage, automatisme, dripping, body-art, graphittis, gribouillis, éjaculations. L’ «art » gréco-romain fait passer de l’indice à l’icône. L’art moderne de l’icône au symbole. A l’ère du visuel, la boucle de l’art contemporain s’inverse et revient du tout symbolique à une quête désespérée de l’indice. Matières boueuses, goudron, sable, craie, charbon. Après Kandinsky, Dubuffet, et ses texturologies, après Calder et Segal et ses nus en fac-similé au poil près (tels les mannequins de cire des magistrats romains et rois renaissants). Chair retrouvée.

P 301 à P 328 dont p305 (passage à l’idole – Luther) dont p320 (Panofsky – perspective) dont p323 (l’apparition simultanée de l’art et de la perspective …)

p332 Les dadaïstes, qui firent du suicide de l’art leur spécialité artistique, l’ont délibérément visé au cœur en s’en prenant à leur condition première : l’opération matérielle, la chose elle-même, soit par le biais de l’objet indifférent, le ready-made, soit par celui du hasard érigé en principe, le happening. Le Phénix, pour la première fois, se renie, met sa propre mort en scène, et par un autre tour d’artisterie, fait œuvre de cette renonciation à l’œuvre, quasi-objet mais d’exposition.
(A rapprocher de Duchamp-Heinich)

p337 La décrue des images en simples signes à été rythmée par le passage de la réclame (vanter les qualités d’un objet) à la pub (flatter les désirs d’un sujet). Elle a accompagné le transfert des priorités, dans l’ordre médiatique, de l’information à la communication (ou de la nouvelle au message) ; dans l’ordre politique, de l’Etat à la société civile, du Parti au réseau, du collectif à l’individuel ; dans l’ordre économique, d’une société de production à une société de service ; dans l’ordre des loisirs, d’une culture d’avertissement (école, livre, journal) à une culture de divertissement, et dans l’ordre psychique, de la prédominance du principe de réalité à celle du principe de plaisir. Tout cela débouche sur un ordre nouveau, complet et incohérent.

p347 La relation sociale ne s’est pas améliorée, le coagulant-art n’a pas rassemblé, les inégalités culturelles sont restées en l’état. Pourquoi ?
Garante d’une conversion immédiate, l’œuvre d’art était supposée transmettre son mana à distance, telle la relique au fidèle. D’où le vocabulaire malrucien du sortilège (révélation, frisson, rencontre, communion, rayonnement, etc.). Les biens de salut opérant tout seuls, il n’était problème que de l’aval. Il suffirait d’aménager l’accès aux musées et aux albums, sanctuaires de l’empathie, pour élargir le nombre des pratiquants, pour « transformer en un bien commun un privilège ». La démocratie par la culture, ce serait la levée des barrières « entre les créateurs, les interprètes, les œuvres et les hommes ». (Pierre Moinot). On n’avait pas prévu de bibliothèques, et on comprend pourquoi dans les maisons de la culture : le contact physique avec l’ouvre devait suffire. Le malheur, c’est que l’art n’éveille que les éveillés ; et que la plupart n’ont pas le code pour déchiffrer Goya ou Clouet. La vision est une récompense, non une grâce. Et la fréquentation des œuvres, un travail, non une cérémonie. Le génie des intermédiaires n’était pas celui de notre magicien national (Malraux).Bien qu’étonnement doué pour la publicité, les moyens-termes n’étaient pas son fort et il fuit l’impasse sur les contraintes socio-culturelles de la transmission, tous les instruments pratiques et appris de la connivence. La qualification du citoyen lambda à recevoir les stigmates rédempteurs n’étant pas innée, le raptus artistique ne fait pas raccourci. On ne coupe pas à l’Education Nationale et à l’obscur labeur des vieilles médiations « païennes » : le livre, l’école, le journal. Nul œil ne sera prophète qui n’a été tâcheron.

• Le sacré n’est pas héréditaire, ni portatif. On ne le déménage pas avec le mobilier. Il est solidaire d’une culture vivante, et comme telle, intransportable.

P350 jusqu’à fin ? A VOIR !