Devant l'image

Note de lecture

Devant l’image
Georges Didi-Huberman ; Les éditions de minuit collection « critique »

Ce que nous voyons, ce qui nous regarde…

[…] Souvent, lorsque nous posons notre regard sur une image de l’art, vient à nous l’irrécusable sensation de paradoxe. Ce qui nous atteint immédiatement et sans détour porte la marque du trouble, comme une évidence qui serait obscure. Tandis que ce qui nous parait clair et distinct n’est, on s’en rend vite compte, que le résultat d’un long détour — une médiation, un usage des mots. Rien que de banal, au fond, dans ce paradoxe. C’est le lot de chacun. Nous pouvons l’épouser, nous laisser porter en lui ; nous pouvons même éprouver quelque jouissance à nous sentir alternativement captifs et libérés dans cette tresse de savoir et de non-savoir, d’universel et de singulier, de choses qui appellent une dénomination et de choses qui nous laissent bouche bée… Tout cela sur une même surface de tableau, de sculpture, où rien n’aura été caché, où tout devant nous aura été, simplement, présenté. […]

Grâce à l’histoire de l’art (discipline récente -XVIe) :
- gain de savoirs
- gain de spectacles (expos de plus en plus)
- gain d’argent (conditions deu marché de l’art)
Ces trois gains semblent devenus aussi précieux à la bourgeoisie contemporaine que la santé elle-même.

S’interroger sur le ton de la certitude des experts de l’histoire de l’art.

Souvent, les commentateurs de l’art ne cherchent dans l’art que les réponses déjà données par leur problématique du discours.

[…] Et notre hypothèse tient justement à ce que l’histoire de l’art, phénomène moderne par excellence, puisque né au XVIe siècle, a voulu enterrer les très vieilles problématiques du visuel et du figurable en donnant de nouvelles fins aux images de l’art, des fins qui plaçaient le visuel sous la tyrannie du visible (et de l’imitation), le figurable sous la tyrannie du lisible (et de l’iconologie) […]

VISIBLE + imitation LISIBLE + iconologie
visuel lisible

Le visible, c’est ce qui est disséquable, une image qui émet à l’œil des éléments de signification visible, des éléments discernabl
L’image deviendra visible aussi parce que quelque chose en elle aura su évoquer ou traduire pour nous des unités plus complexes, thèmes, concepts, histoires, allégories : des unités de savoirs. A ce moment, l’image aperçue devient réellement, pleinement visible. Elle devient claire et distinct comme si elle s’explicitait elle-même. Elle devient donc lisible.

l’image
(objet exhibé ou détouré, élément de représentation)

devient VISIBLE
parce qu’il y a révélation de thèmes, concepts,bces révélations, devenant des explications

l’image devient LISIBLE
(traductibilité du visible)

INVISIBLE : élément d’obstruction

Fra Angelico, Annonciation, vers 1440-1441. Fresque. Florence, Couvent San Marco, cellule 3.

A peine devenue visible, la fresque se met à “raconter” son histoire, le scénario de l’annonciation tel que St Luc l’avait un e première fois écrite dans son évangile. Il y a tout lieu de croire qu’un iconographe en herbe pénétrant dans la petite cellule ne mettra onde… […]

[…] Ou bien on saisit et nous sommes dans le monde du visible, dont une description est possible. Ou bien on ne saisit pas et nous sommes dans la région de l’invisible, dont une métaphysique est possible, depuis le simple hors champ insistant du tableau jusqu’à l’au-delà idéel de l’œuvre tout entière.
Il y a pourtant une alternative à cette incomplète sémiologie (visible, lisible, invisible) … […]

[…] Ne pas se saisir de l’image, se laisser saisir par elle : donc se laisser dessaisir de son savoir sur elle. C’est le plus bˇeau risque de la fiction… […]

[…] Ce blanc n’est pas “rien”. Il est visuel. C’est un événement. Il est matière. Il n’est en rien abstrait puisqu’il s’offre comme la quasi-tangibilité d’un face à face visuel. C’est “un mur sur le mur”. C’est un phénomène-indice, ce blanc est virtuel. […]
[…] Virtus : puissance souveraine de ce qui n’apparaît pas visiblement. L’évènement de la virtus, ce qui est en puissance, ce qui est puissance, ne donne jamais une direction à suivre par l’œil, ni un sens univoque à la lecture. Ce qui ne veut pas dire qu’il est dénué de sens : au contraire il rend possible des constellations de sens.
Le mot virtuel désigne ici la double qualité paradoxale de ce blanc crayeux qui nous fait face dans la petite cellule de San Marco : il est irréfutable et simple en tant qu’évènement ; il se situe au croisement d’une prolifération de sens possibles d’où il tire sa nécessité, qu’il condense, qu’il déplace, et qu’il transfigure. Il faut donc peut-être l’appeler un symptôme, le nœud de rencontre

[…] L’écriture, pour les hommes du Moyen-Age, ne fut donc pas un objet lisible au sens où nous l’entendons généralement. Il leur fallait — leur croyance l’exigeait — creuser le texte, l’ouvrir, y pratiquer une arborescence infinie de relations, d’associations, de déploiements fantastiques où tout, notamment tout ce qui n’était pas dans la “lettre même du texte (son sens manifeste), pouvait fleurir. cela ne s’appelle pas une lecture — mot qui, étymologiquement, suggère le resserrement d’un lien — mais une exégèse — mot qui, quant à lui, signifie la sortie hors du texte manifeste, mot qui signifie l’ouverture à tous les vents du sens. […]

[…] Ce blanc est une surface d’exégèse ; il ne

[…] Si ce pan de mur blanc réussit bien, comme nous le croyons, à s’imposer en tant que paradoxe et mystère pour le regard, alors il y a tout lieu de penser qu’il réussit également à fonctionner comme image ou symbole (isolables), mais comme paradigme : une matrice d’umages et de symboles. Il suffit d’ailleurs de quelques instants de plus dans la petite cellule pour ressentir combien le blanc frontal de l’Annonciation sait se métamorphoser en puissance obsidionale. ce qui est en face devient tout alentour, et le blanc que contemplait le frêre dominicain lui murmurait peut-être aussi : Je suis le lieu que tu habites — la cellule même —, je suis le lieu qui te contient. Ainsi te rends-tu présent au mystère de l’Annonciation, au-delà de te le représenter.a surface qui t’enveloppe et qui te touche, nuit et jour, je suis le lieu qui te revêt. Comment le dominicain contemplatif (à l’image de saint Pierre martyr de l’image) pouvait-il récuser une telle impression, lui à qui l’on avait expliqué, au jour de sa prise d’habit, que son p

BTS CV AVA :
• Exercice : faire parler l’image
• Voir à inclure ce blanc dans la série monochromes avec Shandy, Malévitch, Queneau, …
• […] Nous nous sommes avancés dans la région d’une iconologie singulièrement fragilisée : privée de code, livrée aux associations […] La césure entre visible et visuel est ancienne […]
Idée de travailler sur l’analyse de signes et on cherche des associations (idées-images).


[…] Goya, Manet et Picasso ont interprété les Ménines de Vélasquez avant tout historien de l’art. Or en quoi consistait leur interprétation ? Chacun transformait le tableau du XVIIe siècle en jouant de ses paramètres fondamentaux ; mo
Voir Damish “l’origine de la perspective” Flammarion 1997

p 64 fin du premier chapitre
[…] La tyrannie du visible, voilà donc l’écran, à tous les sens que peut prendre ce mot, du savoir produit et proposé aujourd’hui sur les œuvres d’art. cette accumulation de visibilité devient certes une passionnante iconothèque, ou un laboratoire. Mais elle devient aussi un hypermarché pour la gestion duquel l’histoire de l’art, quoiqu’elle en ait, joue son rôle. A travers les moyens toujours renforcés qu’on lui alloue, notre chère discipline croit profiter de cette situation de demande, comme on dit. En réalité, elle est au piège de cette demande : contrainte de révéler à tous les “secrets des chefs d’œuvre”, contraintsente et cautionne un spectacle ; et même s’il se tient en bord de piste, il est, lui aussi, contraint de réussir sa prestation, c’est à dire de présenter toujours le masque de la certitude.
L’histoire de l’art échouera à comprendre l’efficacité visuelle des images tant qu’elle restera livrée à la tyrannie du visible. Puisqu’elle est une histoire et puisqu’elle tâche de comprendre le passé, elle se doit de prendre en compte — au moins pour ce qui concerne l’art chrétien — ce long renversement : avant la demande il y eu le désir, avant l’écran il y eu l’ouverture, avant le placement il y eu le lieu des images. Avant l’œuvre d’art visible, il y a eu ≈l’exigence d’une “ouverture” du monde visible, qui ne livrait pas seulement des formes, mais aussi des fureurs visuelles, agies, écrites ou bien chantées ; pas seulement des clés iconographiques, amis aussi les symptômes ou les traces d’un mystère. Mais que s’est-il passé entre ce moment où l’art chrétien était un désir, c’est à dire un futur, et la victoire définitive d’un savoir qui a postulé que l’art se déclinait au passé ?

C’est à la Renaissance en Italie que l’art, tel que nous l’entendons aujourd’hui — quoique de plus en plus mal — fut peut-être inventé et en tout cas solennellement investi.
« Ce pelé, ce galeux d’où nous vient tout le mal, j’entend la Renaissance, a inventé la notion d’art dont nous vivons encore, quoique de moins en moins bien. Elle a conféré à la notion d’objets, raison d’être avouée depuis toujours de la profession d’artistes, cette investiture solennelle dont on ne peut plus se débarrasser qu’en rejetant l’objet du même

Renaissance : art phénix, l’art renaissant de ses cendres. L’art devait donc être mort pour qu’on invente alors l’histoire de l’art.
Giorgio VASARI : “Les vies”. Vasari invite son lecteur dans les vies en lui présentant tour à tour quatre types de légitimations, dont l’éclaircissement à lui seul peut en dire long sur les fins qu’il se proposait, c’est à dire sur le grand mouvement identificatoire dont nous avons parlé.

1 — Un rapport d’obédience
(s’incliner devant le Prince de Médicis). La première histoire de l’art se place sous l’emblème majestueuse.
Humilité et éloge : humilité du courtisan et de l’artiste fonctionnaire, éloge de la cité de Florence qui, métonymiquement, vaut pour ses habitants célèbres qui l’ont rendue splendide, les artistes.

2 — En appeler à la constitution d’un corps social
consacré par la création, en 1563 de l’académie ; la notion d’artiste faisant alors définitivement partie des arts libéraux.

3 — Vasari se place lui-même dans so
Il en appelle à une origine, une naissance de la discipline.

1 — Il en appelle à une fin des temps
Immortaliser. “L’écriture se souvient”. Voilà pourquoi le Moyen-Age n’était qu’obscurantisme selon Vasari.

Vasari nous a suggéré que l’art avait pu un jour (et ce jour s’appelait Giotto) renaître de ses cendres ; qu’il avait donc pu mourir (dans cette longue nuit appelée le Moyen-Age) et qu’il portait en lui comme sa condition essentielle, de risquer toujours une nouvelle mort par-delà ses réussites les plus hautes. Entre Renaissance et mort seconde, Vasari interposait pour tout sauver et tout justifier, une problématique nouvelle de l’immortalité, déclinée par un nouvel ange de la résurrection, qui se nomme lui-même historien de l’art.

PROBLÉMATIQUE : l’histoire de l’art n’a pas toujours existé

p 96 extrait de VASARI : A réemployer en BTS ? + p 90 “On ne l’a que trop dit …”

p 78 à 82 : reconnaissance de caractères : commentaires des frontispices de VASARI à commenter et interpréter avec les étudiants BTS.

Quel réconfort les chrétiens ont-ils pu retirer d’un dieu en perpétuelle image de mourir sur une croix ?

p 172
Nous nous retrouvons une fois de plus dans la situation du choix aliénant. Donnons-en une formule extrême, sinon exaspérée : savoir sans voir ou voir sans savoir. Une perte dans tous les cas.
Celui qui choisit de savoir seulement aura gagné, bien-sûr, l’unité de la synthèse et l’évidence de la simple raison ; mais il perdra le réel de l’objet, dans la clôture symbolique du discours qui réinvente l’objet à sa propre image, ou plutôt à sa propre représentation.
Celui, au contraire, qu
Déchirure serait donc le premier mot, la première approximation pour renoncer aux mots magiques de l’histoire de l’art. Ce serait la première façon de remettre en cause le postulat de Panofsky selon lequel « l’historien de l’art diffère du spectateur naïf en ce qu’il est conscient de ce qu’il fait ». Il y a en effet, la naïveté du spectateur qui ne sait rien, mais en face d’elle, il y a la double naïveté de celui qui rabat entièrement le savoir sur la vérité, et croit de plus qu’il y aurait quelque sens à prononcer une phrase du genre : « Je suis conscient de tout ce que je fais lorsque je vois une image de l’art, parce que je la sais. »

p188
Nous ne sommes pas devant les images peintes ou sculptées comme nous sommes devant, ou plutôt dans les images visuelles de nos rêves. les unes se donnent en tant qu’objets tangibles ; elles sont manipulables, susceptibles de collections, de classement ou de conservation. Les autres disparaissent bien vite en tant qu’objets définis et se fondent peu à peu pour devenir simples moments — inintelligibles moments — de nous-mêmes, vestiges de nos destins, lambeaux inclassables de tifs”. les images de l’art circulent dans la communauté des hommes, et jusqu’à un certain point nous pouvons dire qu’elles sont faites pour être comprises, à tout le moins adressées, partagées, prises par d’autres. Tandis que les images de nos rêves ne demandent à personne d’être prises ni comprises.
Mais la plus grande différence tient sans doute à ceci que nous sommes éveillés devant les images de l’art — de cet éveil qui fait la lucidité, la force de notre voir —, tandis que nous sommes endormis dans les images du rêve, ou plutôt que nous y sommes cernés par le sommeil — de cet isolement partenaire qui fait peut-être la force de notre regard.

« Aux yeux du profane, ce sont les symptômes qui constitueraient l’essence de la maladie et la guérison consisterait pour lui dans la disparition de ces symptômes. Le médecin s’attache, au contraire, à distinguer entre symptôme et maladie… »
S. Freud “Introduction à la psychanalyse”

Et même si Dürer avait déclaré expressément, comme l’ont souventuloir, mais non pas des conclusions qu’on peut en tirer sur son être profond, de

Panofsky à propos de “melencolia” de Dürer

p 221/222
Lorsque nous jetons un œil sur la gravure de Dürer déjà évoquée, que voyons-nous d’abord ? Nous voyons un corps, admirablement représenté par l’artiste dont on connaît bien à présent — et surtout grâce à Panofsky — l’intérêt profond qu’il portait aux problèmes du mouvement corporel, des règles de proportions, etc. Une dizaine d’années après avoir gravé cette planche qui dénote déjà˝ une attention extrême dans la représentation de la musculature , par exemple, Dürer publiait ses fameux Vier Bücher von menschlicher Proportion, où Panofsky ne voit rien moins qu’”un point d’apogée que la théorie des proportions n’avait jamais atteint et n’atteindrait plus jamais”. … Tout cela est indiscutable mais insuffisant : car le corps ici représenté par Dürer indique par son seul repli qu’il n’est pas simplement en “représentation”. L’image que Dürer nous en donne est pour ainsi dire aspirée en son centre par l’ouverture — la plaie, encore — où le regard du Christ a définitivement plongé. Qu’est-ce à dire ? que ce corps là se présente à nous pour indiquer en lui une chair, fut-elle meurtrie. Le Christ de Dürer s’abime dans l’ouverture de sa chair aux fins de se rendre présent à son spectateur dévot que l’ouverture et la mort auront été le lot — voire le sens radical — de l’incarnation du verbe divin parmi les hommes. Ainsi la chair fait-elle symptôme dans le corps, au point d’en modifier discrèteme
Voilà qui, en somme, répond exactement à la définition première que Freud donnait du symptôme : il remplace, disait-il une impossible “transformation du monde extérieur” — entendez, dans le contexte christologique de la gravure de Dürer : le monde humain de la faute originaire — par une ‘transformation du corps” — entendez par là le simple mot stigmate, avec le sens le plus paradigmatique qu’on puisse lui donner, celui de la marque, de la tâche ou de la piqûre pratiql’incarnation du verbe n’a pas été pensée autrement, dans toute la tradition chrétienne, que comme cette modification sacrificielle d’un seul corps en vue de sauver tous les autres d’une destruction, d’un feu ou d’un tourment éternels. Ce qui était tout de même les modifier tous un peu, en exigeant d’eux, non plus l’épreuve hébraïque d’une circoncision, mais l’impératif non moins catégorique d’une imitation de l’épreuve défigurante où le Christ avait une première fois plongé.
On voit mieux désormais comment il faut placer respectivement les deux termes de l’Incarnation et de limitation : le premier suppose une mise en symptôme du second, ce qui fait du second — désormais modifié — une vocation au symptôme des corps autant qu’au corps lui-même. Saint François d’Assise imitait le Christ, non par l’aspect de son corps, mais par la défiguration symptomatique que son corps accepta de recevoir ou d’incorporer. Notre hypothèse, formulée à son extrême, consisterait à supposer tout simplement

A propos du Mandylion d’Edesse (ou de la Véronique, ou du Saint suaire de Turin), image dite achiropoïète, c’est à dire “non faite de main d’homme” :
Nous sommes donc devant ces rares, devant ces éminentes icônes ou reliques, comme devant la forme extrême d’un désir, fait image, de sortir l’image hors d’elle même… en vue d’une chair qu’elle glorifie et en un sens voudrait continuer. La structure paradoxale d’une telle exigence conditionne en grande partie l’aspect antithétique du vocabulaire utilisé pour décrire ces images. C’est un vocabulaire qui évoque déjà les avalanches de chiasmes et d’oxymores qui caractériseront toute la théologie négative et la syntaxe des mystiques. Ainsi le Mandylion fut-il, dès l’origi

L’Occident a le génie des images parce qu’il y a 20 siècles est apparue en palestine une secte hérétique juive qui avait le génie des intermédiaires. Entre Dieu et les pécheurs, elle intercala un moyen terme : dogme de l’Incarnation. C’est donc qu’une chair pouvait être, ö scandale, le “tabernacle du Saint-Esprit”. D’un corps divin, lui même matière, il pouvait par conséquent y avoir image matérielle. Hollywood vient de là, par l’icône et le baroque.