La société du spectacle

Note de lecture

La société du spectacle
Guy Debord [1967]

(+ voir parole d'irréductibles citation Debord p 12)

10
« Le concept de spectacle unifie une grande diversité de phénomènes apparents. Leurs diversités et contrastes sont les apparences de cette apparence organisée socialement, qui doit être elle-même reconnue dans sa vérité générale. Considéré selon ses propres termes, le spectacle est l’affirmation de l’apparence et l’affirmation de toute vie humaine, c’est-à-dire sociale, comme simple apparence. Mais la critique qui atteint la vérité du spectacle le découvre comme la négation visible de la vie ; Comme une négation de la vie qui est devenue visible. »
A mettre en rapport avec la définition de l’aura de Walter Benjamin dans “l’œuvre d’art …”.

Préface à la quatrième édition italienne de la société du spectacle
Guy Debord 1979
« Elle (la marchandise spectaculaire) présentait comme des biens extraordinaires, comme la clef d’une existence supérieure, et peut-être même élitiste, des choses tout à fait normales et quelconques : une automobile, des chaussures, un doctorat en sociologie. Elle est aujourd’hui contrainte de présenter comme normales et familières des choses qui sont effectivement devenues tout à fait extraordinaires. ceci est-il du pain, du vin, une tomate, un œuf, une maison, une ville ? Certainement pas puisqu’un enchaînement de transformations internes, à court terme économiquement utile à ceux qui détiennent les moyens de production, en a gardé le nom et une bonne part de l’apparence, mais en en retirant le goût et le contenu. On assure pourtant que les divers biens consommables répondent indiscutablement à ces appellations traditionnelles, et on en donne pour preuve le fait qu’il n’existe plus rien d’autre, et qu’il n’y a donc plus de comparaison possible. Comme on a fait en sorte que très peu de gens sachent où trouver les authentiques là où ils existent encore, le faux peut relever légalement le nom du vrai qui s’est éteint. Et le même principe qui régit la nourriture ou l’habitat du peuple s’étend partout, jusqu’aux livres ou aux dernières apparences de débat démocratique que l’on veut bien lui montrer. »
Commentaires sur la société du spectacle
Guy Debord 1988

p 18
« … On insiste sur les grands moyens du spectacle, afin de ne rien dire de leur grand emploi. On préfère souvent l’appeler, plutôt que spectacle, le médiatique. Et par là, on veut désigner un simple instrument, une sorte de service public qui gérerait avec un impartial « professionnalisme » la nouvelle richesse de la communication de tous par mass media, communication enfin parvenue à la pureté unilatérale, où se fait paisiblement admirer la décision déjà prise. Ce qui est communiqué, ce sont des ordres ; et, fort harmonieusement, ceux qui les ont donnés sont également ceux qui diront ce qu’ils en pensent. »
Spectaculaire concentré incarné par les dictatures
+
Spectaculaire diffus incarné par la société marchande de consommation
=
spectaculaire intégré

p 22
« À considérer le côté concentré, le centre directeur en est devenu maintenant occulte : on n’y place jamais plus un chef connu, ni une idéologie claire. Et à considérer le côté diffus, l’influence spectaculaire n’avait jamais marqué à ce point la presque totalité des conduites et des objets qui sont produits socialement … »
p 25 Tout le point V
« La société modernisée jusqu’au stade spectaculaire intégré se caractérise par l’effet combiné de cinq traits principaux, qui sont : le renouvellement technologique incessant ; la fusion économico-étatique ; le secret généralisé ; le faux sans réplique ; un présent perpétuel. … »
Et notamment :
« … Le mouvement d’innovation technologique dure depuis longtemps, e il est constitutif de la société capitaliste, dite parfois industrielle ou post-industrielle. Mais depuis qu’il a pris sa plus récente accélération (au lendemain de la Deuxième Guerre Mondiale), il renforce d’autant mieux l’autorité spectaculaire, puisque par lui chacun se découvre entièrement livré à l’ensemble des spécialistes, à leurs calculs et à leurs jugements toujours satisfaits sur leurs calculs. … »
p 36 Tout le point VIII
Et notamment :
« …Le spectateur est seulement censé ignorer tout, ne mériter rien. Qui regarde toujours, pour savoir la suite, n'agira jamais : et tel doit être le spectateur. …
… Tout ce qui n’est jamais sanctionné est véritablement permis. … »
p 44
« Sur le plan des techniques, quand l’image construite et choisie par quelqu’un d’autre est devenue le principal rapport de l’individu au monde qu’auparavant il regardait par lui-même, de chaque endroit où il pouvait aller, on n’ignore évidemment pas que l’image va supporter tout ; parce qu’à l’intérieur d’une même image on peut juxtaposer sans contradiction n’importe quoi. Le flux des images emporte tout, et c’est également quelqu’un d’autre qui gouverne à son gré ce résumé simplifié du monde sensible ; qui choisit où ira ce courant, et aussi le rythme de ce qui devra s’y manifester, comme perpétuelle surprise arbitraire, ne voulant laisser nul temps à la réflexion, et tout à fait indépendamment de ce que le spectateur peut en comprendre ou en penser. dans cette expérience concrète de la soumission permanente, se trouve la racine psychologique de l’adhésion si générale à ce qui est là ;qui en vient à lui reconnaître ipso facto une valeur suffisante. Le discours spectaculaire tait évidemment, outre ce qui est proprement secret, tout ce qui ne lui convient pas. Il isole toujours, de ce qu’il montre, l’entourage, le passé, les intentions, les conséquences. Il est donc totalement illogique. Puisque personne ne peut plus le contredire, le spectacle a le droit de se contredire lui-même, de rectifier son passé. La hautaine attitude de ses serviteurs quand ils ont à faire savoir une version nouvelle, et eut-être plus mensongère encore, de certains faits, est de rectifier rudement l’ignorance et les mauvaises interprétations attribuées à leur public, alors qu’ils sont ceux-là même qui s’empressaient la veille de répandre cette erreur, avec leur assurance coutumière. Ainsi, l’enseignement de ce spectacle et l’ignorance des spectateurs passent indûment pour des facteurs antagoniques alors qu’ils naissent l’un de l’autre. Le langage binaire de l’ordinateur est également une irrésistible incitation à admettre à chaque instant, sans réserve, ce qui a été programmé comme l’a bien voulu quelqu’un d’autre, et qui se fait passer pour la source intemporelle d’une logique supérieure, impartiale et totale. Quel gain de vitesse, et de vocabulaire, pour juger de tout ! Politique ? Social ? Il faut choisir. Ce qui est l’un ne peut être l’autre. Mon choix s’impose. On nous siffle, et l’on sait pour qui sont ces structures. Il n’est donc pas surprenant que, dès l’enfance, les écoliers aillent facilement commencer, avec enthousiasme, par le Savoir Absolu de l’informatique : tandis qu’ils ignorent toujours d’avantage la lecture, qui exige un véritable jugement à toutes les lignes ; et qui seule aussi peu donner accès à la vaste expérience humaine antéspectaculaire. Car la conversation est presque morte, et bientôt le seront beaucoup de ceux qui savaient parler. »
p 51
« McLuhan lui-même, le premier apologiste du spectacle, qui paraissait l’imbécile le plus convaincu de ce siècle, a changé d’avis en découvrant enfin, en 1976, que « la pression des mass media pousse vers l’irrationnel », et qu’il deviendrait urgent d’en modérer l’emploi. Le penseur de Toronto avait auparavant passé plusieurs décennies à s’émerveiller des multiples libertés qu’apportait ce « village planétaire » si instantanément accessible à tous sans fatigue. Les villages, contrairement aux villes, ont toujours été dominés par le conformisme, l’isolement, la surveillance mesquine, l’ennui, les ragots toujours répétés sur quelques mêmes familles. Et c’est bien ainsi que se présente désormais la vulgarité de la planète spectaculaire, où il n’est plus possible de distinguer la dynastie des Grimaldi-Monaco, ou des Bourbons-Franco, de celle qui avait remplacé les Stuart. Pourtant d’ingrats disciples essaient aujourd’hui de faire oublier McLuhan, et de rajeunir ses trouvailles, visant à leur tour une carrière dans l’éloge médiatique de toutes ces nouvelles libertés qui seraient à « choisir » aléatoirement dans l’éphémère. Et probablement ils se renieront plus vite que leur inspirateur. »
Considérations sur l’assassinat de Gérard Lébovici
Guy Debord 1985

p 107
« Quand tout le stock de connaissances, de goût et de langage disponible chez les experts de cette sorte sera fixé sur des mémoires artificielles, on voit ce que l’on pourra apprendre au terminal. Très bientôt, les jugements en «novlangue» ressembleront en toute occasion à celui que l’on a cette fois imaginé pour moi. On peut se demander comment un ordinateur saura traduire le mot “noblesse”, dans quelque temps ? »