Visite au "Retable de Grünewald"

Le retable d'Issenheim Mathias Grünewald Unterlinden - Colmar - 19 février 2008

Compte rendu de visite

En février 2008, je me rendais spécialement à Issenheim, près de Colmar, au musée Interlinden, pour contempler le Retable, peint par Matthias Grünewald entre 1512 et 1516.
Ce retable, présenté dans la chapelle d'une ancienne abbaye-hopital, est composé de nombreux panneaux qui s'ouvrent successivement les uns sur les autres.
Je restais au musée toute une journée, de 9 heures à 17 heures, il faisait très froid, le matin, jusqu'à 10h30 il n'y avait que moi comme visiteur, l'après-midi, de nombreux groupes de scolaires dont des italiens ont envahi l'espace sonore.

De retour, après avoir été fasciné par la reproduction des motifs qui remplissent le plan de la chapelle de "l'annonciation", j'ai tenté d'en retrouver la composition. À France-Inter, en juin 2008, j'ai entendu le peintre Garouste dire qu'il avait fait la même chose...












Saint Sébastien
Description intuitive
  • Drapé dans une ample étoffe rouge
  • transpercé presque symboliquement tellement il paraît calme et vivant
  • debout sur un socle traité en grisaille comme s'il "surfait" sur une vague de végétation. [croquis]
  • Le visage est traité de façon extrèmement réaliste — camera obscura ? — contrairement aux personnages du panneau central qui sont archétypaux.
  • des anges transportent un anneau dans la "fenêtre" sur un paysage qui ressemble à celui des Vosges au loin.
La crucifixion
Description intuitive
  • Le ventre du Christ est creusé par sa position.
  • La croix est un tau dont la barre horizontale est engagée dans le poteau.
  • le texte INRI est inscrit sur un papier, clouté sur une planche, suspendue à un crochet sur le poteau. [croquis]
  • Le périzonium qui couvre le bassin du Christ est dégradé, déchiré, tombe littérallement en lambeaux. [croquis]
  • Les cheveux ondulés de Marie flottent, légers et dorés sur une robe orangée avec un liseret vert.
  • Saint Jean est impassible, enveloppé dans une étoffe rouge au revers en fourrure.
  • Le paysage de fond est très sombre, traité à grands traits, vide de toute présence humaine.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Le Christ vient d'expirer, Marie Madeleine a une robe rose, le bras droit de St Jean est démesuré, St Jean Baptiste désigne le cruxifié, "Il faut qu'il grandisse et que je diminue" signifie que les prophéties sont accomplies, les idées de la Réforme se développent, le soucis expressionniste par des déformations volontaires, tout cela exprime la tension intérieure des personnages.

Saint Antoine
Description intuitive
  • Saint Antoine surfe, comme Saint Sébastien
  • Dans la fenêtre, un étrange gnome s'agite et semble sortir d'un tas de gravats. Le parement vitrail de la fenêtre est brisé.
La prédelle
Description intuitive
  • Le corps du Christ est parsemé des blessures d'épine et de clous. Il est vert putrescent.
  • Les personnages sont traités de façon impersonnelle, simpliste et archétypaux.




La résurrection (résurrection et ascension)
Description intuitive
  • Le Christ est nimbé, la tête du Christ est nimbée au centre d'un disque de lumière jaune orangée.
  • Une ample étoffe le couvre qui se déploie en cascade juqu'au où depuis le tombeau. Cette étoffe diffuse, reflête la gamme des jaunes, orangés, rouge, violet, bleu.
  • Révélation au sens psychédélique du terme
  • Les soldats sont représentés dans des poses qui évoquent le terrassement, l'insupportable physique.
  • Les cotes de mailles des soldats sont reproduites très fidèlement, avec tous leurs reflets.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Linceul, éclatante lumière, triomphant et montrant ses plaies, énorme rocher qui représente la pesanteur terrestre dont il s'est dégagé, gardes tétanisés.

L'annonciation (L'annonciation est aussi, dans le même temps l'incarnation - voir lys)
Description intuitive
  • L'archange Gabriel est vêtu d'une tunique jaune safran et d'une large étole aux drapés complexes.
  • Ses ailes sont traitées avec des plumes aux reflets rougeoiyants.
  • Le pavage au sol est un jeu de motifs complexes.
  • Marie fait une moue indéfinissable.
  • Marie est vêtue d'une robe verte/noire extrêmement profond et au liseret rouge
  • Au dessus du 1 arc brisé de la chapelle se déploie un décor orangé de végétations "brûlées. Sur le haut d'un pilier de la chapelle s'appuie une sculpture (personnage mauresque - Isaï)
  • Est écrit : "Voilà, la jeune femme est enceinte, elle va enfanter un fils et lui donnera le nom d'Emmanuel, ..."
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Répond à la tradition moyennageuse mais dans une église gothique flamboyante, ample flottement du tissu qui annonce le baroque, stupéfaction du visage, recul, elle lit : "Voici qu'une vierge concevra et enfantera un fils qu'on appellera Emmanuel", couleur verte symbole de l'espérance, couleur rouge : messie qui annonce le nouveau testament.

Le concert des anges
Description intuitive
  • de multiples têtes d'anges se fondent les unes dans les autres.
  • Le baldaquin sous lequel se produit le "groupe d'anges" est "archi-floré". Baroque.
  • des rehauts d'or sont appliqués aux archers et aux bijoux.
  • • bac de bain fait la liaison avec le panneau de la nativité.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Gothique flamboyant, Marie le front ceint d'une couronne de feu: le diable ?

La nativité
Description intuitive
  • Marie est habillée d'un épais et lourd vêtement rouge et d'une cape bleue.
  • Le linge que tient Marie dans ses bras et dans lequel est lové le Christ est une loque.
  • Une montagne bleue se perd dans les nuées et "Dieu transcendant" est représenté an jaune rouge quasi fluorescent au dessus des nuages les plus hauts
  • Les anges et les personnages traités en transparence "fantômes" et sans soucis de respect des échelles sont représentés sur une colline, au-dessus de l'église du village.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Plusieurs lieux pour l'action, lange en lambeau usage de la vallée du Rhin, objets quotidiens du nouveau né



La tentation de St Antoine
Description intuitive
  • De multiples personnages, traités de façon multiples, assaillent St Antoine, totalement sidéré et allongé sur le sol.
  • Un personnage pustulant au coin en bas à gauche, aux pieds palmés contemple la scène.
  • Fantasy BD avant l'heure
  • A la Bosch
  • Certains personnages sont en ombre chinoise.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Fantastique inquiétant, monstres hideux, un personnage encapuchonné s'est emparé du livre d'Antoine, syphilis, peste, parchemin : "Où était-tu, oh, bon Jésus, car tu n'es pas venu guérir mes blessures".

Visite Chez St Paul l'hermite
Description intuitive
  • Les vêtements de St Paul, constitués de tresses végétales est représenté de façon très détaillée.
  • Une biche, entre les deux personnages, écoute la conversation.
  • Le fond du paysage est en deux parties, l'une de marécages, l'autre avec un datier-palmier aux magnifiques reflets sur le tronc.
Noté rapidement à partir de l'audio-guide
Paul se serait cru seul au désert, draperies de mousse, toutes les plantes représentées ont toutes les vertus thérapeutiques, tout malade accueilli était convié devant le retable pour méditer et accepter ses souffrances.

Grünewald et le retable d'Issenheim
catalogue "regard sur un chef d'œuvre" Somogy p.70

Dans une lettre adressée par le peintre à son ami colmarien Robert Gall, Ie 26 février 1966, Otto Dix réagit en ces termes à la récente interversion de Saint Sébastien et Saint Antoine : « Toutefois, je vois bien grâce à votre montage iconographique que même pour nous autres, soudain, le sens de la composition devient sensible. La répartition des rouges est tout d'un coup d'une judicieuse harmonie. L'espace obscur qui dès lors jouxte la composition centrale, à droite de saint Sébastien et à gauche de saint Antoine, s'accorde puissamment avec Ie fond sombre de la Crucifixion. En ce qui concerne ses dimensions réelles, la composition centrale semble avoir grandi. En dépit de l'asymétrie dramatique, il s'y révèle subitement une symétrie cachée.Tout aussi bien, ce sont la draperie de saint Sébastien ainsi que la crosse et la vêture de saint Antoine qui prennent une signification de parachèvement de l'ensemble peint. Il en va ainsi jusqu'au gigantisme de saint Antoine, lequel m'avait toujours paru étrange au sein de l'ancienne disposition, à se trouver presque résorbé au voisinage immédiat du Précurseur (lui aussi procède, n'est-il pas vrai, de cette exagération surdimensionnelle). Quant au groupe de la Vierge et de saint Jean, il émet désormais des harmoniques plus convaincantes en écho à saint Sébastien.»

Art de la Couleur
Johannes Itten Dessain & Tolra p.152

Grûnewald a traité chaque thème de tableau individuel avec une vérité impitoyable et avec une force et une netteté inconnues avant lui. Il a fait sauter toutes les conventions concernant la distribution des couleurs et s'est efforcé de rendre visible un symbolisme universel. Chaque scène a reçu sa caractérisation la plus forte quant à la forme et la couleur. Tant que ces scènes ont pu être considérées dans les groupes correspondants de l'ensemble de l'autel, on a pu percevoir une liaison spirituelle entre elles et une certaine unité.
Le mode d'exposition actuel, qui permet de voir chaque panneau pour lui-même et à part, ne laisse pas une forte impression d'unité et de liaison pour l'ensemble de l'œuvre. Il faut que chaque spectateur rétablisse tout seul pour lui-même la vue d'ensemble. Evidemment, Grûnewald a négligé une unité extérieure, prévue d'avance, décorative, en faveur de la vérité de la représentation et du caractère de chaque thème.

La scène ici représentée est celle de la résurrection et de la glorification du Christ. La composition commence dans le coin gauche, avec la main d'un garde et l'épée qui se découpe sur le corps rythmiquement détourné. Ce corps se présente parallèlement à la surface du tableau. Le second garde est couché obliquement par rapport au premier. Il s'avance sur le fond. Ce groupe de gardes se ferme par derrière sur le sarcophage presque horizontal. avec lequel le pied droit du premier garde dessine une forme close. Ce pied, ainsi que le sol à son voisinage, indiquent la direction du fond, celle du troisième garde agenouillé, qui se penche en avant. Au-dessus de celui-ci est à genoux, à peine visible, en mouvement inverse, un quatrième garde. Toute la partie inférieure du tableau présente de nombreuses directions fortement contrastées. Comme couleurs on voit un jaune vif isolé sur le vêtement du premier garde, le second est rouge-sombre, le sarcophage rouge-orangé et le troisième garde a des taches de rouge flamboyant. La tache claire de la poignée d'épée dans le coin gauche du tableau trouve un accent opposé sur le casque du premier garde et sur la tête du troisième. Ces trois taches donnent le tracé d'un triangle qui est plein d'une force de tension vers les profondeurs. La main sur la poignée de l'épée est en même temps le sommet d'un angle formé par l'épée et une verticale passant par la poitrine et le coude gauche. Cet angle s'ouvre comme une coupe d'où s'envole dans son mouvement le linceul. Ce linceul voltige enfin, lumineux et agité, en diagonale du tableau, vers la droite et de lui se détache, tournée légèrement vers la gauche, la figure du Ressuscité, qui est entouré d'une gloire gigantesque.

Le mouvement en diagonale du linceul est maintenu à la surface du tableau par le puissant rocher brun-rouge, placé en travers. Pour le linceul et la gloire, Grûnewald déploie toute la force agissante de la métaphysique des couleurs. Partant du rouge-sombre trouble et terrestre du garde, il pose le vert-clair complémentaire sur le linceul qui se soulève et de là passe au vert-sombre, au bleu-vert, au bleu. au bleu-violet, au violet, au rouge-violet, au rouge, au rouge-orangé, à l'orangé, au jaune et au blanc dans le corps du Christ, parcourant tout le cercle du spectre dans sa plus grande luminosité. Le jaune clair et le rouge-orangé de la gloire, il les fait contraster avec le cercle complémentaire bleu-glacé. Le tout donne un accord puissant et multiple, qui commence d'une façon presque incolore, puis s'enfle et atteint le plus grand épanouissement des forces de couleurs célestes.

Le lien sur le site de l'exposition

le lien sur un imagier grünewald bien fait sur le site de télérama