Croquis & texte : Marc Vayer
I/III.
Les exilé·e·s, migrant·e·s, réfugié·e·s — appelez-les comme vous le
voulez – passent logiquement par le couloir historique des Alpes entre
la France et l’Italie. Entre les deux, le col de Montgenèvre est le
passage le plus bas, sans doute déjà emprunté dans les temps
préhistoriques, mais aussi par les Romains qui font démarrer là la Via
Domitia, la première route de l’Empire en Europe.
C’est
également le point de passage du grand pélerinage de Rome à Compostelle
qu’empruntent parfois des marcheurs convaincus. Mais quand on est « sur
le chemin », comment ne pas être sensible aux cohortes de silhouettes
tendus vers la passage avec une étape, souvent, par le refuge Fraternità
Massi d’Oulx[2] sur le versant italien ? Nourris, un peu reposés,
renseignés le mieux possible sur la suite du parcours, les exilé·e·s
partent alors le plus souvent en bus vers Clavière avant de finir à pied
les quelques kilomètres qui les séparent de la frontière.
En
ce mois d’octobre 2024, on a pu croiser des italiens aux abords de la tour médiévale
d’Oulx, Martina, Bepé et Piero qui tentent ici, par les biais
artistiques et plastiques, d’évoquer le sort de ces exilé·e·s. C’est
prêcher au milieu de beaucoup d’indifférence, même si un réseau efficace
de bénévoles assure, en opposition aux règles étatiques européennes,
un minimum de dignité citoyenne.
II/III.
Le poste frontière entre l’Italie et la France est placé en léger
contrebas du col de Montgenèvre. C’est à cet endroit précis que
convergent les exilé·e·s qui passent en France. Depuis les accords de
Schengen en 1995, le passage est censément « sans contrôle » à
l’intérieur de « l’espace européen ».
C’est
effectivement le cas actuellement, nous sommes en octobre 2024. Depuis
février, les exilé·e·s ne sont plus contrôlés ni refoulés. Iels
s’arrêtent à la petite cahute sur le route et les autorités françaises
enregistrent les demandes d’asile et permettent d’entrer sur le
territoire. C’est une exception sur la frontière française qui tient à
ce que le préfet actuel des Alpes-Maritimes se soumet aux injonctions du
Tribunal Administratif qui avait annulé nombre de décisions répressives
en ce début d’année. Souhaitons que cela dure...
C’est
un obstacle de moins, par exemple, pour les groupe d’iraniens et
d’irakiens que nous avons rencontrés, et qui ne savaient pas comment
continuer après la frontière. Après moult explications dans un anglais
gloubi-boulga, certains réussissent à prendre la navette du soir,
d’autres choisissent de marcher sur les quinze kilomètres de route en
lacets pour descendre sur Briançon. Nous les dépassons, colonne de
nouveau épuisée de réfugié·e·s qui atteindront peut-être le refuge
solidaire de Briançon avant la nuit.
III/III.
Le refuge solidaire[3] de Briançon est un havre provisoire pour les
exilé·e·s en transit vers d’autres contrées, le reste de la France, mais
le plus souvent l’Angleterre ou les pays du Nord de l’Europe. Après de
nombreuses années d’empêchements, d’hostilités institutionnelles,
d’épisodes intenséments répressifs, une partie de cette ancienne
clinique semble être devenue un lieu pérenne, avec des permanent·e·s et
une pléïade de bénévoles dont nous fîmes parti quelques jours.
Avec
les six permanents de la structure, il faut seize bénévoles par jour
pour que ça tourne. Les exilé·e·s peuvent rester ici 3 jours et 3 nuits
inconditionnellement. Ils se reposent, se nourrissent, s’équipent, réparent leurs maigres biens si nécessaire,
participent aux tâches quotidiennes et à de courts ateliers s’ils le souhaitent, s’informent sur leurs droits et sur les conditions
matérielles pour la suite de leur voyage.
Le
refuge sur leur chemin est une goutte d’eau sur un long parcours
piégé. Les bénévoles travaillent avec humilité dans ce contexte,
conscients du caractère provisoire de leur aide, car, comme aime à le
rappeler Moon, un des permanents du lieu, en citant Hannah Arendt qui
parlait de sa propre situation de réfugiée[4] : « Au moment même où
nous sommes sauvés, nous nous sentons humiliés. Au moment même où nous
sommes aidés, nous nous sentons rabaissés ».
Vous pouvez télécharger "Le passage" (format A4) en PDF ici :
https://www.fichier-pdf.fr/2024/10/25/le-passage-mv/